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Pénurie de containers et hausses tarifaires : Les USA contre-attaquent

L’année 2020 a représenté un réel bouleversement sur tous les plans, en particulier sur celui de la logistique mondiale. Cette crise sans précédent a été un véritable électrochoc pour nombre de sociétés qui avaient misé tous leurs jetons sur les pays asiatiques.

En toute logique, tout miser sur le même cheval augmente les risques. Et cette erreur coûte cher aujourd’hui à de nombreuses entreprises dépendantes des pays asiatiques, dont la Chine apparaît en tête de liste. Cependant, beaucoup de ces entreprises se sentent prises au piège par les armateurs, estimant que ceux-ci abusent de leur position dominante pour facturer sans vergogne des taux mirobolants. Devant ces nombreuses plaintes, la colère montant particulièrement aux Etats Unis, les autorités ont décidé de s’en mêler pour calmer le jeu.


Un fabricant US porte plainte

Le fabricant américain MCS Industries, distributeur d’articles pour la maison et ayant dans son portefeuille des clients tels que Home Depot ou Walmart a décidé de porter plainte contre deux armateurs. MCS Industries estime que les deux armateurs concernés n’ont pas respecté leurs engagements contractuels et auraient donc violé ce qu’on appelle le Shipping Act, qui est la loi régissant le transport maritime outre Atlantique depuis 1984.

Il faut dire que la colère ne redescend pas chez les chargeurs. Ceux-ci voient leurs dépenses augmenter sans limite tandis que les armateurs déclarent des résultats sans précédent. Pourtant, il est difficile de lutter contre un ou plusieurs armateurs, leur puissance est telle que le coût pour défendre ses intérêts est bien plus important que les tarifs de transport.

Pourtant, MCS Industries a décidé de ne pas se laisser faire et a interpellé la justice et les autorités, devançant sans doute d’autres firmes qui n’osaient pas agir par peur de représailles. MCS reproche aux armateurs de lui refuser des places, préférant le rapatrier sur le spot, beaucoup plus coûteux pour elle, et, dans le même temps, beaucoup plus rémunérateur pour les armateurs.

A cela s’ajoute l’arrivée de l’administration Biden fraîchement élue, qui cherche à mettre en lumière et à sanctionner la moindre pratique anticoncurrentielle avec l’aide de la FMC (Federal Maritime Commission), l’autorité de régulation du transport maritime, qui a été sollicitée de nombreuses fois depuis le début de cette crise logistique.


La FMC s’en mêle

La FMC a lancé en juillet un audit visant à vérifier si les transporteurs maritimes opérants sur le marché US respectent leurs engagements et, donc, le Shipping Act. Il s’agissait de contrôler que l’ensemble des frais facturés (surestaries et détentions), estimés comme étant outranciers dans leur montants par les chargeurs, sont justifiés et ne constituent pas un abus de position dominante des différentes alliances.

La demande de cet audit est en soi cohérente : les armateurs sont regroupés en 3 grandes alliances, détenant à elles 3 plus de 80% du marché mondial. MCS Industries a donc estimé que les armateurs constituaient, à ses yeux, un abus de position dominante évident. La firme affirme que les armateurs ont créé des ententes et ont manipulé la pénurie à leur avantage pour faire grimper les taux. Des accusations lourdes !

La FMC a rendu ses premiers travaux et demande à ce que le Congrès modifie la Loi afin de permettre à ceux qui se sentent lésés de pouvoir porter plainte et demander des indemnités sans risques de représailles. En ce qui concerne, justement, d’éventuelles représailles, la FMC souhaite un accroissement de ses pouvoirs afin de contrer tout abus éventuel des armateurs contre les plaignants.

La FMC a nettement besoin d’une augmentation de ses pouvoirs. Elle peut difficilement agir face aux augmentations tarifaires comme celles que nous connaissons actuellement. Le fait que les tarifs augmentent n’est pas en soi répréhensible selon la loi. Il faudrait prouver qu’une entente a eu lieu ou que la pénurie justifiant l’augmentation des frais est montée de toutes pièces, et, jusqu’à preuve du contraire ce n’est pas le cas.

Enfin, malgré la volonté de nombreux chargeurs, la FMC ne peut influer sur les prix, elle n’en a pas la pouvoir, et ne pourra sans doute jamais le faire. Son rôle est de contrôler que les différentes alliances ne dégradent pas le service au profit des bénéfices. C’est uniquement en cas d’abus avéré que la FMC peut éventuellement mettre le hola sur les tarifs en place et demander aux acteurs concernés de revoir leur copie. A côté de cela, un projet de loi est en cours pour que les armateurs soient obligés d’assurer un service minimum auprès de leurs clients et, ce, quel que soit le contexte afin d’éviter les abus et une flambée de prix.


Quelles conséquences ?

L’action de MCS n’est pas passée inaperçue. Cela fait déjà quelques temps que la colère gronde et que chargeurs et transitaires tapent du poing sur la table face à une poignée d’armateurs qui affectent de ne pas comprendre ce qu’on leur reproche.

Nous sommes ici face à un duel assez inédit. Si d’habitude, malgré quelques accrochages, chargeurs et armateurs parviennent à travailler ensemble, la crise sanitaire aura eu raison de leur entente et pour cause. Si les chargeurs se sentent lésés par la hausse tarifaire qui ne cesse de grimper, la publication des excellents chiffres des différents armateurs n’a fait qu’ajouter de l’huile sur le feu. Voir ses bénéfices fondre pendant qu’en face ils grimpent en flèche, cela a de quoi susciter l’émoi de beaucoup d’entreprises.

Les armateurs se défendent en disant que si les taux flambent, c’est avant tout parce que les terminaux sont en sous capacité et que durant les confinements, les modes de consommations ont autant changé qu’ils ont explosé, créant ainsi un énorme déséquilibre dans la supply chain.

La défense des armateurs n’est pas exempte d’arguments plausibles. Force est de constater que durant les confinements, la population a eu tendance à surconsommer, ce qui a forcément entraîné des difficultés pour assurer convenablement les commandes vu que beaucoup de terminaux et d'entrepôts étaient au ralenti quand ils n’étaient pas totalement à l’arrêt.

Cependant, les chargeurs et transitaires argumentent à leur tour en arguant du fait que les armateurs ont la capacité de mieux réguler les choses et qu’ils se sont entendus pour rediriger les flux là où ils pouvaient être sûrs de naviguer à moindre coût tout en créant une fracture sur d’autres axes qui ont fait flamber les prix et, ce, volontairement.

L’administration Biden fraîchement en place a décidé elle aussi de s’en mêler, se rangeant du côté des firmes US, en toute logique, et mettant la pression sur la FMC qu’elle juge trop laxiste. Elle lui demande à celle-ci d’agir avec plus de poigne, notamment face à ce qu’elle décrit comme étant des frais injustes et déraisonnables. Pour Biden, il y a clairement une attitude anticoncurrentielle destinée à nuire aux entreprises américaines, au profit des compagnies maritimes, bien souvent rangées du côté Chinois.

Toujours selon l'exécutif américain, la concentration des alliances représente près de 80% du marché. Ce qui a forcément un lien avec la flambée des coûts. Multiplier par dix des prix et facturer massivement à des chargeurs des frais alors que leurs marchandises étaient bloqués à quai pour des raisons exceptionnelles est difficile à avaler.

Avec l’arrivée de l'exécutif américain dans la danse, les armateurs vont avoir fort à faire pour se défendre et basculer rapidement sur des tarifs plus raisonnables. Si jusqu’à présent ceux-ci feignent quelque peu l’indifférence, la pression exercée par les USA, qui représente un marché majeur compte tenu du consumérisme surdimensionné du pays, risque de faire basculer la peur dans l’autre camp.

A ce jour, les prix continuent de grimper mais les flux reprennent un cours plus ou moins normal. La FMC veille au grain, plus que jamais, pour détecter la moindre preuve d’un acte anticoncurrentiel afin de donner raison aux chargeurs et transitaires qui ne décolèrent pas.

Les armateurs continuent toujours de plaider pour leur paroisse, maintenant l’argument selon lequel les terminaux américains ne sont pas adaptés pour accueillir un flux d’une ampleur inédite dans un contexte exceptionnel. Les entrepôts qui débordent, les parcs en surcapacité, les navires en congestion, tout ceci a entraîné, toujours selon les armateurs, le déséquilibre que l’on connaît et donc l’augmentation des coûts et la pénurie de boîtes vides en Chine. Pour la partie adverse, on insiste sur le fait que rien n’a été fait pour endiguer cette pénurie, les navires auraient dû compléter leurs transports avec des boîtes vides pour limiter la casse, et non pas laisser en stand-by les boîtes tout en augmentant les taux de fret.

Nul doute que la bataille engagée est loin d’être terminée. Le divorce entre chargeurs et armateurs n’est d’ailleurs toujours pas soldé, certaines grosses entreprises comme Walmart ou Home Depot ont affrété elles-même leurs navires. Canadian Tires a pour sa part investi dans un terminal et, en Europe, certains vraquiers commencent à charger des containers.


L’Europe n’est toujours pas entrée dans la mêlée, préférant regarder la bataille confortablement assise derrière le crédo de la libre entreprise. Les régulateurs Européens regardent les chargeurs américains et les armateurs s’étriper mais ne prennent pas part. Pourtant, en Europe aussi la colère gronde chez les chargeurs et les transitaires. Toutefois, ceux-ci se sentent relativement seuls et peu soutenus. Il y a fort à parier cependant que certaines grosses firmes européennes feront comme leurs camarades américains et décideront de passer outre les contrats passés avec les armateurs pour se débrouiller par elles-mêmes, accélérant ainsi la mise en place du visage de la nouvelle supply chain mondiale post-pandémie.

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