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Transport maritime et goulets d’étranglement Partie 2, les goulets naturels

Lors de nos précédents articles, nous avions longuement parlé du canal de Panama ainsi que de celui Suez suite à l’actualité liée au M/V Ever Given. Ces deux goulets d’étranglements sont des édifices érigés par la main de l’homme pour faciliter ses échanges commerciaux. Cependant, il n’est pas toujours nécessaire de créer un canal pour faciliter un passage. Il existe des passages naturels, étroits, faisant eux aussi office de goulets d’étranglements mais obligatoires pour optimiser les trafics maritimes.

Ces goulets naturels peuvent être des passages offrant un raccourci significatif sur une route maritime. Ils peuvent aussi être un passage étroit permettant d’atteindre une zone enclavée. Nous allons donc voir, à travers cette seconde partie, quels sont les goulets d’étranglements naturels les plus célèbres et les plus importants pour le transport maritime, mais aussi en quoi ils constituent également des points de vulnérabilité.


Le détroit d’Ormuz

Un des detroit les plus connus du milieu maritime c’est le fameux détroit d’Ormuz. Sa localisation stratégique est très importante, aussi bien sur le plan logistique que géopolitique. Si on regarde bien sur une carte, on constate en effet qu’il est l’unique accès pour se rendre dans le Golfe Persique, autour duquel on retrouve des pays comme l’Iran, l’Irak, le Koweït, Bahreïn, le Qatar, les Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite et enfin Oman.

Depuis un accord conclu en janvier 1975, c’est Oman et l’Iran qui assurent, de façon commune, la surveillance du trafic maritime au niveau du détroit (bien que de nombreux conflits politiques soient aussi liés à cette gestion vis-à-vis de l’Iran). Le goulet d’étranglement n’est pas que lié à l’étroitesse du détroit mais aussi à sa topographie maritime. En effet, les navires qui circulent sur ce détroit sont obligés de suivre des couloirs de circulation bien spécifiques de 3km de large séparés par un espace interdit à la navigation de 3km de large lui aussi. Ces couloirs sont les endroits les plus profonds permettant aux navires, qui sont de plus en plus volumineux, de naviguer sans que leur tirant d’eau ne touche le fond.

Le détroit est long de 180 km ; à son point le plus étroit, il ne fait que 40km de large. Les couloirs de navigation longeant les côtes d’Oman et de l’Iran, ces deux pays ont une grande capacité de contrôle du trafic maritime, bien que celui-ci soit réglementé par les lois internationales pour assurer la libre circulation des navires. Les navires doivent également, sur ces couloirs étroits, naviguer entre plusieurs petites îles, rendant la traversée d’autant plus compliquée sur des eaux peu profondes et étroites.

On parle de stratégie géopolitique pour ce lieu car il est situé en plein cœur d’une zone très riche en ressources d’hydrocarbures. Tous les pays du golfe persique possèdent à eux seuls, près de la moitié des réserves connues de pétrole et réalisent le tiers de la production mondiale. De par sa localisation, le détroit est l’unique passage pour atteindre les pétroles saoudien, émirati et iranien. Il n’existe pas beaucoup d’alternatives efficaces pour éviter ou contourner le détroit. La principale alternative existante reste le pipeline, mais ce type de transport ne peut être aussi efficace que le transport par voie maritime. De plus, les pipelines peuvent faire l’objet de conflits géopolitiques qui peuvent compromettre lourdement les acheminements des matières concernées.

A cause de sa situation géographique, le détroit et ses couloirs maritimes sont très surveillés car les relations internationales avec certains pays du golfe persique sont très tendues. On peut citer à titre d’exemples le conflit Irak / Koweït ou les diverses tensions entre les USA et l’Iran. Si la guerre en Irak est terminée, il y a encore eu, tout récemment des incidents tels que celui du golfe d’Oman en 2019 où 4 navires marchands ont été endommagés au large du port de Fujairah (Emirats Arabes Unis).

L’incident le plus grave et récent depuis le conflit irakien reste celui de 2011, toujours en vigueur actuellement. L’Iran ayant officialisé publiquement son programme nucléaire, les pays occidentaux, organisés en coalition (France, Royaume Uni et États Unis notamment) ont envoyé des navires après les essais menés par les forces iraniennes au sein même du golfe persique. Le but de la manœuvre était d'empêcher l’Iran de fermer le détroit. A la suite de cela, l’Europe a interdit les exportations de pétrole iranien. Un coup dur pour l’Iran, dont l’exportation de pétrole constitue 80% de ses recettes. Très vite, d’autres pays se joignirent à l’UE pour limiter les importations en provenance de ce pays, comme le Japon ou la Corée du Sud. Depuis une dizaine d'années maintenant, le détroit est extrêmement surveillé. Des navires américains, anglais et français sont régulièrement déployés depuis des bases proches (au nombre de 5 au total réparties sur le littoral faisant face à l’Iran) pour éviter toute fermeture du canal et ainsi laisser transiter la marchandise au sein du golfe persique.



Le détroit est donc encore à ce jour une zone extrêmement surveillée, bardée de bases et de navires militaires de différents pays, prêts à intervenir si l’Iran décide de bloquer la zone, chose qui, selon certains experts, ne devrait pas se produire. Les menaces étant surtout une manière de demander aux autres pays de respecter l’Iran et sa politique, sachant que même durant les guerres en Irak, le détroit est resté ouvert, et ce, malgré les très importantes menaces.

Détroit très prisé par la supply chain mondiale, il a, à ce jour, le plus grand nombre de barils de pétrole en transit annuel, à savoir 21 millions contre “seulement” 15.7 millions pour Malacca et 4.6 millions pour Suez. On estime qu’environ 20 pétroliers par jour transitent sur le détroit. Lieu incontournable de la scène logistique mondiale, il est l’un des plus surveillés et les plus fréquentés au monde.


Le détroit de Malacca

Autre détroit naturel qui remplit son rôle de goulet d’étranglement : le détroit de Malacca situé entre la Thaïlande, la Malaisie et l’Indonésie. Ce détroit est la route la plus courte pour rejoindre les pays Asiatiques comme le Cambodge, Vietnam, Chine, Japon etc… Sans cette route, les navires en provenance de l’Ouest seraient obligés de longer toute l’Indonésie,

Long de 850 km et d’une largeur comprise entre 50 km et 390 km, avec un resserrement à 38 km de largeur au point le plus étroit, c’est un détroit quelque peu périlleux car il est jonché d'îles tout le long de sa traversée et, donc, de nombreux récifs.

Ce détroit a son importance car il est la principale route d’approvisionnement du Japon et de la Chine pour tout ce qui est hydrocarbure. On estime que presque 85 000 navires empruntent ce couloir maritime chaque année et près d’? du commerce maritime du pétrole transite par ce lieu.

Avec l’importance du trafic couplé à l’étroitesse du détroit, il est une zone privilégiée pour la piraterie. Après un pic au début des années 2000, la tendance des actes de piraterie est à la baisse depuis quelque temps.

Un projet visant à désengorger le détroit et à accélérer les rotations de transit sur la zone est en étude depuis de nombreuses années. Ce projet est le canal de Kra, un canal qui relierait le golfe de la Thaïlande à la mer d'Andaman à travers l’isthme de Kra au sud de la Thaïlande. Le raccourci qu’un tel ouvrage engendrerait serait de l’ordre de 1 200 km. Ce projet a été envisagé depuis 1677 par le roi Thailandais Narai. Ce projet a été plusieurs fois évoqué au fil des âges pour être finalement abandonné et remplacé par la création d’une autoroute, laquelle n’est finalement pas d’une grande utilité.


Source : Wikipedia


L’idée d’un tel raccourci était dans les tuyaux depuis les années 30. Le coût élevé et les éventuelles répercussions environnementales ont fait que le projet n’a toujours pas abouti. Pourtant, avec l’évolution des trafics, le détroit est de plus en plus sollicité et donc mis en péril tant sur le plan environnemental que sur son capacitif annuel de transit. On estime que le détroit peut accueillir environ 120 000 navires par an. Cependant, l’Institut Maritime de Malaisie prévoit que, d’ici 2025, environ 140 000 navires devraient passer par ce détroit, un chiffre bien au-dessus du capacitif maximal et qui remet donc sur la table le projet d’un canal tel que celui de Kra. Toutefois, si un tel canal présente de nombreux avantages sur le papier, celui-ci génère de nombreuses réticences en raison de son impact écologique, mais aussi géopolitique : l’Inde et la Chine ont des relations très tendues, d’autant plus détériorées que ces deux puissances se concurrencent fortement au niveau du commerce et de l'industrie mondiale.


Le détroit de Gibraltar

Sans nul doute l’un des détroits les plus connus. Il était depuis des siècles le seul et unique point d’entrée en Méditerranée avant que le canal de Suez soit créé. Large d’à peine 14 km et profond de 1000 m, il est actuellement considéré comme la deuxième voie maritime la plus utilisée, après la manche, avec les 100 000 navires annuels qui le traverse.

Passage très fréquenté depuis la naissance des premières espèces humaines, on pense, d’après de récentes découvertes, que le détroit fut l’un des dernier avant-postes d’habitation des néandertaliens (environ 24 000 avant notre ère) avant que l’Homo Sapiens ne devienne la race humaine dominante. Véritable point de passage naturel, le détroit a vu défiler bon nombre de peuples et de royaumes en campagne pour conquérir des territoires. Des carthaginois faisant campagne contre l’Empire Romain, en passant par les nombreuses guerres successives entre royaume musulman et royaume chrétien, le détroit (et son fameux rocher) a vu défiler une très grande partie de l’Histoire. Théâtre de nombreux conflits, il est encore à ce jour un point de passage pour de nombreuses populations fuyant leurs pays pour se rendre en Europe.


Source : Wikipedia


La ville de Gibraltar et son rocher sont un territoire britannique, revendiqué depuis 1704. Cette enclave britannique est un élément stratégique très important pour le Royaume Uni qui lui permet de garder un œil sur tout le trafic maritime qui passe à travers ce célèbre goulet d’étranglement maritime. L’Espagne revendique depuis longtemps cette enclave, mais un référendum en 1967 a confirmé la volonté des habitants de la zone à rester sous la souveraineté britannique. A l’heure actuelle, et avec le brexit, l’Espagne a repris des négociations pour récupérer ce territoire. L’Espagne cherche surtout à ce que les britanniques abandonnent sur leur souveraineté. Idéalement, les Espagnols verraient bien Gibraltar repasser sous leur autorité à l’instar de Hong Kong lors de sa restitution à la Chine en 1997.

Compte tenu de la faible largeur du détroit, un projet de tunnel ferroviaire sous le détroit est envisagé depuis les années 80. Un pont fut d’abord imaginé mais de trop nombreux risques de collision avec les navires ont eu raison d’un tel projet. Le tunnel a donc été remis sur la table, mais à l’heure actuelle, le projet est en suspens, compte tenu des réticences sur son utilité mais aussi sur les difficultés techniques qu’il engendrerait (les fonds sont beaucoup moins stables que dans la manche), sans compter les bouleversements supplémentaires sur l’écologie du détroit déjà mise à mal par les nombreux passages de navires.


Le détroit du Bosphore

Moins connu que Gibraltar, le détroit du Bosphore, ou détroit d’Istanbul, relie la mer Noire à la mer de Marmara. Il est à la limite entre les continents européen et asiatique. Large de 698m à 3 000 m pour une longueur de 32 km, le détroit présente un trafic composé de navires de plaisance, de cargos, de tankers et de ferries. Le détroit, de par sa faible largeur est très dangereux, notamment en raison des nombreux obstacles et de la configuration de son passage composée de nombreux virages dangereux couplé à des courants parfois violents et à un trafic dense allié à une faible visibilité. Suite à de nombreux incidents graves et meurtriers (le dernier datant de 2005 avec un navire coulé), la circulation de nuit est formellement interdite.

Afin de désengorger ce goulet, où certains tankers peuvent attendre des semaines avant de parvenir à traverser le détroit, un projet de canal, nommé canal d’Istanbul, a été proposé en 2011 par la Turquie. Le projet prévoit de passer par la partie Européenne du pays. L’ouvrage devrait faire 50 km de long avec une profondeur de 25m et une largeur de 150 m. On estime que le canal permettrait le passage journalier de 160 gros navires. Le projet vise à désengorger le détroit du Bosphore, par lequel traversent environ 56 000 navires par an, dont de nombreux tankers, ce qui présente des risques d’accidents graves. L’augmentation des volumes des trafics internationaux justifie en grande partie cet ouvrage qui a été pensé dès le 16ème siècle et remis sur la table de très nombreuses fois jusqu’au lancement des travaux en 2019. Bien qu’ayant démarré, le projet est très controversé, notamment sur le plan écologique et le risque que cela engendre sur la faune et la flore de la mer de Marmara.



Source : Wikipedia


Tous ces différents points de passage sont d’une importance capitale pour le trafic maritime. Cependant, avec l’augmentation constante des échanges internationaux, bon nombre de ces points sont soit menacés quand ils sont naturels, soit en passe d’être obsolètes pour ceux qui sont artificiels, essentiellement du fait des nouvelles dimensions des navires qui circulent. Certaines voies maritimes sont susceptibles d’être modifiées dans les années à venir, que ce soit pour des questions écologiques ou géopolitiques, les échanges internationaux évoluant sans cesse. La crise sanitaire de 2020 aura eu également un très fort impact sur le paysage maritime mondial. Bon nombre des modifications à venir seront sans doute inédites et totalement imprévues. Au moment où tout est fait pour réduire les impacts de l’homme sur l’environnement, que ce soit par le redécoupage des voies maritimes en créant des zones protégées, ou la dépollution des océans et des littoraux par des associations telles que Wings of the ocean, la forte croissance des échanges internationaux arrive en totale contradiction avec les enjeux essentiels du moment, visant eux, à réduire au maximum l’impact écologique de l’homme sur son environnement. La vraie problématique actuelle est donc de pouvoir satisfaire une demande croissante tout en diminuant l’impact écologique. Un casse-tête auquel se livrent depuis quelques années maintenant, les compagnies maritimes avec des innovations chaque année en termes de réduction de leur impact carbone.

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